Rouge - Farid Bentoumi

Pour ce nouveau rendez-vous mensuel du ciné-débat organisé en collaboration avec l’institut de l’Engagement, nous avions prévu de présenter un film en avant-première : ROUGE de Farid Bentoumi qui devait sortir sur les écrans de cinéma le 24 novembre.  En raison des nouvelles règles sanitaires obligeant la fermeture des salles, le film n’est pas sorti. Nous avons été heureuses de pouvoir maintenir cette projection malgré le fait que le film n’ait plus de date de sortie prévue… 

C’était un vrai cadeau pour les 280 jeunes lauréat.e.s de l’institut de bénéficier de la découverte de ce film (même en digital) et de rencontrer le réalisateur lors d’une belle rencontre virtuelle animée par Isabelle Giordano et Marc Germanangue qui modérait les réactions des lauréat.e.s. 

Même si nous partageons vraiment les propos de Farid Bentoumi : « Le cinéma est un lien social où on échange et on vit des choses ensemble. Quand on sent les spectateurs regarder le film dans une salle de cinéma, l’émotion est multipliée X1000 ! », ces projections virtuelles restent un moment d’exception qui permet aussi de réunir des jeunes de toute la France et d’ailleurs puisque certains étaient en ligne depuis Dakar et Tel Aviv ! Farid Bentoumi a été d’une grande générosité et a répondu pendant près d’1h aux questions.

LE DÉBAT (EXTRAITS)

Les multiples réactions sur l’écran témoignaient de l’engouement des spectateurs. 
Le parcours de Farid Batoumi éclairant bien son cinéma, Isabelle Giordano a commencé la rencontre par lui demander de se présenter.

Farid Bentoumi : Je suis originaire de Grenoble, d’un papa algérien et d’une mère savoyarde. Mon père était un ancien mineur, militant CGT. J’ai toujours baigné dans le militantisme. J’ai passé ma jeunesse sur les skis. Je suis un vrai savoyard.  Parler des origines par le cinéma est devenu une nécessité pour représenter à l’écran des gens comme moi, et c’est important de mettre en scène des « arabes » qui ne soit ni dealer ni voleur. Au départ je voulais être comédien et j’ai commencé mais je me suis mis à écrire parce qu’on ne me proposait que des rôles « d’arabe de service ».

Véra : Pourquoi avoir choisi le milieu des polluants, vous le connaissiez ?

FB : Non, au départ c’est vraiment le courage d’un lanceur d’alerte que je voulais traiter. Après il faut situer le sujet l’endroit et j’ai cherché. J’ai lu tous les articles sur cette histoire – là, j’ai regardé des documentaires, j’ai rencontré le lanceur d’alertes qui a fait parler de l’affaire, je me suis renseigné sur toutes les informations financières de l’entreprise, les ministres… tout l’historique. Pour faire un film politique, il faut être irréprochable. C’est ce que je fais pour chaque film, je me renseigne sur tous les points de vue. Avant de réaliser mon film, j’ai fait lire le scénario par les professionnels qui sont incarnés par les comédiens… pour nourrir chaque personnage et qu’ils soient le plus juste possible.

Gabriel : Pourquoi rouge ? quelle est cette poudre rouge tout au long du film ?

FB :  Je voulais que le rouge tâche la nature. La scène du lac rouge, on l’a tournée dans une réserve naturelle à Grenoble puis on a tout retouché en post-production pour accentuer le rouge. Je voulais qu’au moment où Nour découvrait le lac, qu’elle se sente écrasée, que le lac apparaisse comme une tâche en plein milieu de la nature. Pour la scène dans l’usine, on a utilisé de l’argile rouge que l’équipe déco projetait dans une machine – la même que celle qui aspire les feuilles. Un grand défi pour la déco parce qu’on a multiplié les décors, dans 4 usines différentes.

Isabelle Giordano : Tous les personnages sont attachants, est-ce que votre regard en tant que réal ne se rapprocherait pas de celui d’un journaliste, d’un arbitre qui ne prend pas parti? 

FB : On peut considérer que le personnage de Mansour est un salaud parce qu’il cache l’accident de l’intérimaire. À la fin il a cet aveu d’impuissance en disant que sa parole ne vaut rien, qu’il est lui aussi impuissant.

Isabelle Giordano : C’est un peu l’éloge de la complexité, votre film n’est jamais binaire et c’est probablement ce qui plaît. 

FB : Si on ne s’assoit pas autour d’une table en écoutant les problèmes des uns et des autres, on ne résoudra jamais la situation ! Soit on est radical du côté des écologistes/ouvriers, soit on essaie de l’être un peu moins, on s’assoit autour d’une table et on réfléchit à comment faire. Et si on formait les 3.000 ouvriers pour travailler dans l’électricité renouvelable et les panneaux solaires, plutôt que de les virer ? 

Mamadou : Comment avoir le courage, face à des situations complexes, des dilemmes, trouver la force de résister, de s’opposer ?

FB : Je crois que c’est un travail du quotidien, il ne faut pas être lanceur d’alerte, ni attendre d’être suffisamment engagé. Je ne comprends pas les gens qui ne votent pas par exemple, c’est un des premiers engagements !

Isabelle Giordano : Les relations père – fils dans le 1er film, aujourd’hui père – fille, la famille c’est aussi un de vos sujets

FB : À la base ça devait être la relation entre un fils et son père. J’avais envie de bosser avec Zita henrot depuis longtemps et je me suis dit que j’allais tout réécrire en racontant l’histoire du point de vue d’une fille et de son père mais finalement je n’ai rien changé du personnage. Ça créé une modernité dans sa relation, qu’est-ce que ça chance au final qu’elle soit un homme, une femme, française ou arabe. 

Célia : Bonsoir Farid ! Je vous écris de Lyon, merci de nous laisser la chance de voir ce film qui est une source d’inspiration pour nous qui voulons nous engager.

FB : Merci, cela me touche beaucoup

Josy : Pourquoi avoir choisi d’appeler votre personnages Nour quel intérêt, qu’il soit d’origine algérienne ?

FB : Ils s’appellent Slimane et Nour, c’était important pour moi parce que ça m’est cher mais on peut aussi simplement le voir comme un délégué syndical et une responsable sanitaire.

Fahim : Nour ça veut dire lumière en arabe, elle porte bien son nom, on peut dire « Le courage de Nour ».

Le débat s’est terminé sur ce « slogan » que les lauréats se sont promis de faire retentir sur leurs réseaux quand le film sortira.Marc Germanangue qui avait accès à toutes les réactions partageait au fur et à mesure les nombreux témoignages de remerciements dont celui de Nathan : 

Très beau film qui ne rentre pas dans les caricatures des gentils écologistes et des méchants ouvriers et politiciens. Chacun se bat en pensant faire de son mieux. Bravo